La thermolyse, une nouvelle forme décentralisée d’hydrogène
Vitry-le-François, ancienne ville industrielle du Grand Est, a choisi Haffner Energy pour installer une unité de production d’hydrogène à partir de la biomasse sur son territoire et alimenter ainsi une flotte de véhicules. La commune espère bien que ce travail de pionnier sera porteur d’emplois et essaimera dans d’autres territoires.
Comment ce projet d’économie circulaire a-t-il émergé sur votre territoire ?
Jean-Pierre Bouquet : Vitry-le-François est une ville qui a une histoire, notamment avec l’industrialisation puis la grande guerre et ensuite des destructions en 1940 et 1944. C’est une ville qui se reconstruit et se cherche une nouvelle vocation. Elle a conservé dans certains secteurs la trame de son passé industriel et se découvre à travers le développement durable. Nous avons réellement pris cette option en 2011 en considérant que l’énergie est au cœur de la société, que l’abandon du jacobinisme dans ce domaine constituait une opportunité pour les collectivités et qu’il y avait là un nouveau rôle à jouer. Nous avons donc cherché un modèle, non pas top-down, mais qui viens de la base, puis mené un travail de longue haleine pour faire émerger 33 projets répartis en 7 familles : rénovation des bâtiments, éclairages LED, mobilité propre… Nous nous sommes dit que nous étions dans l’économie circulaire et qu’il y avait là des gisements d’emplois. Dans notre travail à concevoir notre projet de transition, nous avons toujours conservé en ligne de mire les résultats positifs pour l’emploi.
Avec la production décentralisée d’hydrogène vert et la valorisation des ressources locales avec la biomasse, nous avons pris l’option de systèmes de production moins coûteux, qui seraient pour la collectivité source de ressources. Avec le démonstrateur de production d’hydrogène décentralisée et renouvelable particulièrement compétitive, nous créons les conditions de notre développement.
En quoi l’option de la biomasse pour produire de l’hydrogène est-elle pertinente ?
J.-P. B. : Vitry-le-François possédait l’un des tout premiers réseaux de chaleur urbain par biomasse. Aujourd’hui il y en a 600 en France. Il se trouve que le nôtre est constitué d’une grosse chaudière au bois, ressource qui peut être davantage utilisée dans l’économie circulaire. Et donc, c’est ce bois qui va nous permettre de produire ici de l’hydrogène ultra compétitif.
Comment avez-vous résolu l’équation du financement ?
J.-P. B. : Aide-toi et le ciel t’aidera ! Si nous n’avions pas pris cette option de l’économie circulaire, puis notre destin en main, nous n’aurions pas pu obtenir les financements du ministère de l’Environnement et de l’Écologie d’alors en tant que territoire à énergie positive pour la croissance verte*. Nous avons été l’un des premiers territoires à être labellisé. Notre prise de risque s’est située au niveau de la mobilisation des moyens humains et de la mise en place d’une dynamique et d’outils nécessaires au projet. Aujourd’hui le temps de la mise en œuvre est arrivé. Pour y parvenir, la ville a constitué un consortium avec la Sem Vitry Énergies, l’école Centrale Supelec et l’entreprise Haffner Energy, puis reçu un soutien de
2,7 millions d’euros de subventions et d’avances remboursables de la part de l’Ademe et du Secrétariat général pour l’investissement dans le cadre du PIA, pour un coût total du projet de
5,7 millions d’euros.
En quoi la thermolyse permet-elle d’atteindre un coût de production d’hydrogène proche de celui de l’essence ?
Philippe Haffner : Nous avons réalisé une économie d’environ 2 € / kg en supprimant le transport. Sans besoins logistiques de stockage et de transport, la fabrication s’effectue au fil de l’eau. À cela s’ajoutent les économies sur l’énergie primaire et une efficacité énergétique proche de 70 % pour arriver à un coût de production complet pour la mobilité qui sera à terme de 3 € / kg, soit équivalent à celui des carburants fossiles détaxés (TIPP et TVA). Actuellement le prix de production par les autres technologies, notamment par électrolyse de l’eau, avoisine les 10 € / kg à la pompe. Il y a donc un long chemin à parcourir et la biomasse apporte ici une réponse très pertinente.
Un autre avantage déterminant apparaît : il n’y a pas besoin de mobilité pour amortir la station-service grâce à l’hypergaz généré lors de la production d’hydrogène. Ce gaz compétitif vis-à-vis du gaz naturel, précurseur de l’hydrogène, servira à alimenter tous usages normalement alimentés par le gaz naturel, et notamment les réseaux de chaleur, et sa production sera modulée en fonction de la demande en hydrogène.
Les flottes de voitures peuvent ainsi se déployer à leur rythme. La station est rentable dès le départ. Enfin, le biochar, issu de la thermolyse, est un composant énergétique à haute valeur ajoutée qui apporte une autre source de revenus stable.
Le procédé Hynoca est réplicable et exportable. Mais pensez-vous que les ressources en biomasse seront suffisantes ?
P. H. : Actuellement, les EnR sont principalement utilisées pour produire de l’électricité. La demande actuelle d’électricité peut être rapidement fournie par les EnR. Mais il sera impossible de demander à l’électricité de remplacer les combustibles fossiles pour la mobilité. Si 50 %
du total de la production mondiale annuelle d’électricité était produit par des EnR et que 10 % de cette électricité était dédiée à la production d’hydrogène par électrolyse pour la mobilité, cela ne nourrirait que…
4,3 % de la mobilité routière. Tandis que 100 % de la mobilité routière électrique mondiale alimentée par des piles à combustible ne consommerait que 4,4 % de la biomasse totale produite chaque année sur terre pour la production du carburant hydrogène des véhicules.
L’hydrogène continu, pur et compétitif produit par biomasse est entièrement compatible avec les piles à combustible et se trouve être maintenant clairement accessible. C’est l’objet du procédé Hynoca mis en œuvre à Vitry-le-François avec le démonstrateur du projet de production d’hydrogène à partir de biomasse Vitrhydrogène.
Quel est l’agenda de mise en service et combien de temps faudrait-il pour équiper ensuite un territoire comme la France ?
P. H. : Début 2020, la première station commerciale sera mise en service. Elle permettra de produire 120 kg / jour
d’hydrogène, soit la consommation d’un parc de 200 véhicules (base 20 000 km/an), 6 véhicules de la Communauté de Communes Vitry Champagne et Der étant déjà livrés.
Ensuite, une période comprise entre 10 et 20 ans suffira pour mailler le territoire national, dans le cadre d’un partenariat avec au moins une grande entreprise du secteur de l’énergie. L’installation de 5 000 stations hydrogène en France avec un débit médian de 15 kg / h permettra de nourrir 20 % de la mobilité routière, avec zéro émission. Le renforcement de ce domaine d’économie circulaire générera alors pour le seul secteur de la collecte et du conditionnement de la biomasse environ 33 000 emplois nets en France, tout en améliorant de 3,4 milliards d’euros la balance commerciale de la France (pétrole à 70 $ le baril).
*Les territoires à énergie positive pour la croissance verte, lauréats de l’appel à initiatives du même nom lancé par le ministère de l’Environnement en 2014, sont des territoires considérés comme territoires d’excellence de la transition énergétique et écologique.
Jean-Pierre Bouquet est Maire de Vitry-le-François, président délégué des Eco Maires.
Philippe Haffner est le Président de Haffner Energy.