Akihiko Tamura : L’ère de l’hydrogène à des fins géopolitiques : le Japon et la France avancent côte à côte
S’investir dans la mise en place d‘un approvisionnement H2 dans la zone indo-pacifique au côté du Japon, permettrait à la France de mieux prendre sa place de leader H2 en Europe. Explication d’un expert en commerce international, docteur en droit.
La neutralité carbone change la donne en matière de géopolitique : à l’époque des combustibles fossiles, les sources d’énergie primaire telles que le pétrole et le gaz naturel étaient inégalement réparties, en particulier dans les pays et régions connaissant des difficultés géopolitiques. En revanche, à l’ère des EnR et de l’hydrogène ( H2 ), les pays consommateurs d’énergie peuvent réduire considérablement leur dépendance à l’égard de ces pays et régions difficiles. Cela permettra également l’ « autonomie stratégique » à laquelle la France aspire. Le Japon et la France font toutefois partie des « pays aux visions similaires » qui partagent des valeurs telles que la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit.En ce qui concerne la capacité à tirer parti de l’ère de l’H2 à des fins géopolitiques, le Japon et la France sont tout à fait dans le même camp.
La France défend la nécessité de son
« autonomie stratégique » tandis que, en tant que pays central de l’UE, elle doit assumer la responsabilité de « l’autonomie stratégique de l’UE dans son ensemble ». L’UE a déjà fixé un objectif d’approvisionnement d’H2 vert d’ici 2030 de 10 millions de tonnes pour la production régionale + 10 millions de tonnes pour les importations. Pour réaliser cet objectif, la France doit jouer un rôle de leader dans tous les aspects de la chaîne d’approvisionnement H2, y compris la production, le transport, le stockage et la consommation.
La « Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France » prétend « faire de la France un leader mondial de la technologie H2 sur l’ensemble de la chaîne de valeur » et souligne que la France adoptera à cette fin une « stratégie ouverte sur le monde ». Elle se déclare ouverte aux « importations d’H2 ». Toutefois, elle n’y fait référence que comme une possibilité future. Les difficultés du transport de l’hydrogène sont juste mentionnées.
Par ailleurs, la stratégie nationale révisée de l’Allemagne en matière d’H2, publiée en juillet 2023, indique qu’en plus de la production nationale ( capacité de production de 10 GW ), 50 à 70 % de la demande intérieure totale sera importée de l’extérieur du pays. L’Allemagne pour encourager l’approvisionnement à l’étranger a créé la H2 Global Foundation en 2021. La plateforme d’appel d’offres gérée par la fondation est ouverte aux États membres de l’UE autres que l’Allemagne, et les Pays-Bas ont déjà décidé d’y participer. En outre, l’Allemagne a proposé de lier cette fondation à la Banque européenne de l’hydrogène et de la charger d’aider cet organisme à importer de l’H2 depuis l’extérieur de l’UE.
Ainsi, l’Allemagne est devenue actuellement le diplomate actif de l’H2 dans l’UE.
En France, si la stratégie nationale évoque la diplomatie de l’H2, elle appelle principalement les entreprises françaises du secteur de l’H2 à être actives sur le marché international, à contribuer à la mise en place d’une chaîne de valeur internationale et à participer activement à l’élaboration de codes et de normes internationaux. Concernant la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement H2 au Japon et, par extension, dans la région indo-pacifique, la France devrait jouer un rôle plus important dans la mise en place d’une telle chaîne en UE, afin que la communauté internationale ait davantage confiance dans le fait que la France soit également motivée en ce qui concerne le développement des marchés internationaux. En outre, la France est un « État indo-pacifique », 93 % de sa ZEE* se trouvant dans les océans Indien et Pacifique. Par conséquent, la France serait reconnue internationalement comme un acteur plus crédible si elle s’impliquait plus activement dans la construction d’une chaîne d’approvisionnement H2 stable dans la région indo-pacifique.
Pour que la France apporte une contribution à la hauteur de sa position au développement du marché de l’H2 de l’UE, il est important qu’elle joue sur ses deux avantages : géographique et politique. L’avantage géographique est que la France est la « plaque tournante »
la plus appropriée pour la chaîne d’approvisionnement H2 dans l’UE, avec un accès non seulement à la mer du Nord, mais aussi à la mer Méditerranée, à l’Afrique, au Moyen-Orient, à l’océan Indien et même à l’océan Pacifique. La supériorité politique est quant à elle symbolisée par le fait qu’elle est la seule puissance nucléaire de l’UE et un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies. La diplomatie énergétique nécessite la mobilisation de toute la puissance politique internationale, y compris militaire, et la France est le seul Etat membre de l’UE à pouvoir le faire ( par exemple, la sécurité de la mer Rouge, qui relie la mer Méditerranée aux océans Indien et Pacifique, a récemment été menacée, la France contribue activement à la sécurité de cette artère majeure en autorisant les frégates à naviguer en mer Rouge ).
Si la France veut guider la stratégie européenne pour l’hydrogène comme leader et participer activement à des projets H2 vert à l’étranger pour répondre à la demande en Europe, tous les aspects de la chaîne d’approvisionnement qui la soutiennent, en particulier le «transport» et le «stockage», doivent être abordés de manière créative et approfondie.
Le Japon, quant à lui, qui n’est pas en mesure de produire de l’H2 pour sa consommation locale, travaille vigoureusement sur le transport et le stockage de cette molécule. Depuis qu’il a formulé la première stratégie nationale pour l’hydrogène au monde en 2017, le Japon s’est principalement concentré sur la création d’un marché national de l’H2 et sur la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement dans la région indo-pacifique. Il est devenu l’un des acteurs les plus crédibles au monde. Il a conforté son avantage en matière de véhicule H2, de piles à combustible domestiques et de nombre de brevets connexes de classe mondiale. De plus, il est vigoureusement engagé dans le développement et la démonstration de production, de transport et de stockage H2, de production d’électricité à partir d’H2, d’utilisation de cette énergie dans les processus de fabrication industriels. En particulier, en ce qui concerne les transports, le Japon a adopté une stratégie «multi-passages» pour poursuivre simultanément l’H2 liquéfié, le MCH, l’ammoniac, etc., il s’agit d’une accumulation très importante. La France devrait immédiatement coopérer avec le Japon sur une stratégie « multi-passages » afin de la mettre en pratique. Lorsque le MEDEF International s’est rendu à Tokyo en septembre 2023 et a dialogué avec le gouvernement japonais et le Keidanren**, il a été rapporté que la France a exprimé son intérêt à coopérer avec le Japon dans la formulation de normes et de règles internationales, tout en prêtant attention au processus de réalisation d’une société de l’H2 dans la région indo-pacifique. Le Japon ne lésinera pas sur les moyens pour soutenir la « réindustrialisation » de la France, mais aussi pour coopérer avec elle dans sa stratégie d’internationalisation afin de devenir un véritable chef de file dans la construction d’un marché européen de l’H2. Nous pensons qu’une France forte conduit à une UE forte et qu’une UE forte conduit à la stabilité mondiale.
*ZEE : Zone économique exclusive **Keidanren : Fédération des organisations économiques japonaises Propos recueillis en japonais par Leiko Sakurai & Andre Asse