Florence Lambert : « Le stockage est une vraie question stratégique »
Stockage de l’électricité, mobilité durable, chaleur dans les bâtiments publics et privés… l’hydrogène s’inscrit déjà au cœur de la révolution écologique. Entretien et éclairage avec la meilleure spécialiste du sujet en France et en Europe, Florence Lambert.
Quels usages prédisez-vous à l’hydrogène en France et en Europe ?
Florence Lambert : Le stockage est une vraie question stratégique. Tout d’abord nous avons différents besoins en matière d’échelle de temps, les batteries vont être utilisées pour le court et moyen-terme pour les véhicules individuels.
À plus moyen et long-terme, ce sera l’hydrogène pour l’électrification des gros véhicules maritimes, terrestres et aériens. Notamment, les industriels de l’aéronautique travaillent sur l’intégration de l’H2 dans les avions dans le cadre d’une feuille de route précise.
Il faut aussi jouer cette complémentarité des technologies sur la question du temps de recharge. Pour les recharges immédiates (notamment dans les applications autour de la logistique), l’hydrogène va s’imposer en complément des batteries qui vont toujours mettre au moins autour d’une heure pour se recharger.
Le Japon investit déjà dans les véhicules à pile à combustible. Qu’attendent les constructeurs européens selon vous ?
F. M. : L’Allemagne a aussi beaucoup misé sur l’hydrogène, notamment Daimler qui a essayé de se lancer tout de suite sur le véhicule hydrogène en tentant de rentrer sur les marchés de masse. Or, les voitures restaient chères et donc peu accessibles pour les consommateurs de base.
En France, nous avons plutôt opté pour un déploiement là où l’hydrogène s’impose. Le plus bel exemple, c’est la Kangoo H2 qui roule à l’hydrogène avec le prolongateur d’autonomie sur base de véhicule électrique de Symbio F Cell. Dans le transport ou dans la livraison des derniers kilomètres des centres-villes, cela convient très bien.
Sur le même volet lancé en France : la création d’un écosystème complet, voire le lancement d’une économie de l’hydrogène. Quand le ministère de l’Environnement, sous l’impulsion du plan stockage de la NFI, lance dans les territoires des appels à projet où l’hydrogène est produit et utilisé localement, cela donne une vraie visibilité à la France. À horizon 2020, nous devrions ainsi atteindre 50 stations et 700 véhicules.
Cela a créé une vraie dynamique pour jouer dans la cour des grands. Sur la base de cette impulsion, aujourd’hui les équipementiers auto, envoient le bon signal. Ainsi, la démarche française permet de disposer de chaînes hydrogène complètes et de dynamiser des filières territoriales et enfin de lancer une amorce de marché. Ne faisons pas preuve de misérabilisme !
Les technologies sont aux meilleurs niveaux mondiaux, et les solutions d’écosystème sont moins coûteuses.
L’hydrogène peut également être utilisé pour stocker de l’électricité dans les bâtiments privés et publics. Qu’en pensez-vous ?
F. M. : Justement, puisque nous défendons en France cette vision d’écosystème, nous arrivons à la notion d’hydrogène comme passerelle énergétique. CEA-LITEN est d’ailleurs en train de développer un hub énergétique avec la start-up Sylfen afin de créer la chaudière du futur produisant de l’électricité et de la chaleur. Ce produit s’adressera aux bâtiments et aux écoquartiers.
Cette chaudière fonctionne en mode réversible et peut aussi produire de l’hydrogène et devenir une station-service locale pouvant alimenter les usages comme de la mobilité. Cela préfigure une évolution de notre réseau énergétique qui intégrera différents vecteurs : gaz, électricité et chaleur. Dans ce contexte, le produit Sylfen en cours d’industrialisation sera une passerelle énergétique entre ces différents vecteurs.
Florence Lambert est Directrice générale de l’institut CEA / LITEN (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux), pilote du plan « autonomie et puissance des batteries » de la Nouvelle France Industrielle (NFI)