Bruno Le Maire : Réindustrialisation : l’hydrogène aux avant-postes
De retour du Luxembourg pour Paris par Roissy CDG, Bruno Le Maire a tenu à venir saluer les dirigeants d’Airbus, de Safran, d’ADP et d’Air France, notamment, réunis en conférence* sur le thème de l’aéronautique décarbonée de demain*. Il en a profité pour expliquer comment, selon lui, on devient la nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe, sur l’hydrogène, sur l’industrie verte et sur l’industrie tout court.
En préambule, le ministre a d’abord posé comme postulat que : « La France doit redevenir une grande nation de production, mais avec un objectif encore plus ambitieux, une action de production décarbonée. » Voilà l’objectif qu’il se fixe pour 2040 : « Que la France soit la première économie décarbonée de l’Union européenne. » Ce qui, selon lui, ne peut aucunement se faire sans maintenir la croissance : « Cette voie de la décroissance, c’est un suicide collectif. Elle ne peut pas être retenue sérieusement par quelque responsable politique sérieux que ce soit. La décroissance d’aujourd’hui prépare la violence de demain ». Le ministre précise son idée : « Quand je parle de suicide collectif avec la décroissance, je vise tous ceux qui nous ont entraîné vers l’abandon du nucléaire, tous ceux qui ont voulu nous faire croire que le nucléaire n’est pas la bonne option alors que tout le monde aujourd’hui dit qu’il n’y aura pas de réindustrialisation et pas de succès dans le réchauffement climatique sans l’énergie nucléaire. En développant l’énergie nucléaire, c’est la base de notre succès, pour demain être la première économie décarbonée en Europe. » Sa position est claire : « L’énergie nucléaire française n’est pas négociable. Nous la garderons, nous la développerons et nous continuerons d’en faire un atout compétitif majeur pour notre économie et pour notre industrie. »
Il a ensuite développé une seconde orientation, celle qui nous occupe dans ce magazine, celle de l’hydrogène.
Le locataire de Bercy a alors rappelé aux dirigeants industriels présents que :
«Dans les fonctions que j’occupe depuis maintenant longtemps, J’ai vu toutes les étapes par lesquelles nous sommes passés sur l’hydrogène. Une fois la base du nucléaire affirmée, on s’est dit qu’il faut développer d’autres options. Je me souviens d’un premier Conseil européen sur le sujet de l’hydrogène en 2017, tout le monde avait des doutes. Nous les premiers. On se disait : Est-ce que ça va être trop cher ? Est-ce que c’est vraiment une technologie porteuse d’avenir ?
Faut-il vraiment s’engager dans cette voie qui est très coûteuse ? Moi, en qualité de ministre de l’Économie, quand je dépense 1 euro pour l’économie, je me demande si c’est vraiment utile pour nos finances. Ça doit rapporter demain et être un bon investissement.
Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’en matière de mobilité pour le maritime, le routier, le ferroviaire et l’aérien, l’hydrogène est une bonne option. Nous avons donc décidé d’apporter 2 milliards d’euros au projet d’intérêt collectif européen pour le développement massif d’une offre en France. Et ça, c’est l’autre pilier de notre stratégie, consolider la base, le nucléaire, ouvrir vers une autre énergie, l’hydrogène, mais le faire en France, sur le territoire français, avec des usines françaises. Je ne suis pas là pour développer des usines au Japon, en Chine, aux États-Unis. Je suis là pour développer des usines et des emplois sur le territoire français, dans les départements français, pour nos compatriotes français.
Je me suis assuré que ces 2 milliards d’euros iraient bien au développement d’outils de production en France, Symbio et Hydrogène de France pour les piles à combustible, de composants essentiels comme les réservoirs et les membranes avec Forvia, Arkema, Plastic Omnium, Michelin, que vous connaissez tous, et puis la recherche et l’industrialisation des véhicules hydrogène clés en aval avec Hyvia pour les véhicules utilitaires légers et Alstom pour les trains. Ce qui représente déjà 5 700 emplois industriels directs créés uniquement dans le secteur de l’hydrogène. Nous avons également lancé un appel à projets qui s’appelle Ecosystème territoriaux de l’hydrogène, dans le cadre de France 2030, avec des mobilités hydrogènes routières, 1,2 milliards d’euros d’investissements, 3 000 véhicules hydrogène, avec un objectif de moyen terme : produire un hydrogène à prix compétitif, c’est-à-dire comparable à ce qui peut se faire aux États-Unis. »
Sur ce dernier point, le ministre a tenu à rappeler qu’: « il y a des compétiteurs qui sont souvent féroces en matière économique. Il ne suffit pas de développer le nucléaire et l’hydrogène, il faut aussi regarder quels sont tous les avantages compétitifs de nos voisins et ce qu’ils font. Quand Monsieur Biden annonce avec son Inflation Act qu’il va subventionner massivement l’industrie verte et faire venir chez lui des grands industriels, notamment dans la production d’hydrogène vert, eh bien nous, avec le Président de la République, nous avons pris la décision d’être le premier État en face à faire la même chose. C’est-à-dire mettre des crédits d’impôts pour les industriels, ce qui fait que quand un industriel vient en Europe et cherche un endroit où s’installer en se disant : Où est-ce que j’aurais le coût de l’énergie le moins cher ? Il se dise : En France.
et Où est-ce que j’aurais des subventions comparables à celles que je peux trouver aux États-Unis ?
C’est en France également. » Pour le représentant du Gouvernement : « C’est comme ça que l’on devient la nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe, sur l’hydrogène, sur l’industrie verte et sur l’industrie tout court. »
Enfin, tout dernier point de son propos, il souligne qu’: «il faut que nous puissions développer cette application de l’hydrogène à l’ensemble des mobilités, y compris la mobilité aérienne.» Car pour lui, les faits sont là : « Le transport aérien explose dans le monde… en Inde et en Chine, » et que : « lorsqu’on a une des premières compagnies, si ce n’est la première compagnie de production aéronautique au monde,
qui s’appelle Airbus, on va pas torpiller l’aérien alors que c’est la première source de revenus dans notre balance commerciale extérieure. Enfin, quelle autre nation aurait cette idée lunaire que de se dire : J’ai un champion de l’aéronautique, eh bien je vais expliquer que l’aéronautique c’est fini ! »
Et de conclure «Défendons le secteur aéronautique, défendons le secteur aérien et la décarbonisation de l’aérien plutôt que la disparition de l’aérien. »
Enfin, le dernier enjeu, c’est l’utilisation de l’hydrogène avec un avion totalement hydrogène. « Soyons concret, » énonce-t-il, « on ne fera pas Paris-Singapour en avion à hydrogène demain. Ce sera probablement réservé à des distances plus courtes, de l’ordre de 1000 km. Parce que la pile à combustible est lourde et que par conséquent, le transport ne pourra pas se faire sur une distance aussi longue, au moins dans un premier temps. Mais rien que pour ça, ça vaut le coup… L’Europe pourrait être le premier continent à avoir des avions à hydrogène… La France pourrait être le premier État en Europe à commencer à produire des avions à hydrogène. »
Pour le ministre : « Au-delà de l’hydrogène, se joue quelque chose de beaucoup plus important, c’est de savoir quelle place la France va occuper en Europe et parmi les autres nations du monde. » Il considère :
« qu’avec l’avion à hydrogène.
Nous pouvons renouer avec cet esprit français, un esprit de conquête. Nous serons une des premières nations de la planète à produire un avion à hydrogène capable de tenir une distance de 1 000 km dans des
conditions de sécurité absolues. Voilà le défi que nous pouvons nous fixer et voilà le défi que nous allons relever tous ensemble. »
*Lors des Rencontres de Roissy-Meaux Aéropole du 17 octobre 2023.