Arnaud Leroy : « l’objectif est de changer d’échelle »
L’Ademe est impliquée depuis longtemps dans la promotion de l’hydrogène, tant en termes de mobilité que pour les industries. Arnaud Leroy, le nouveau président de l’agence, s’est confié à Hydrogenium pour décrypter le lancement du plan hydrogène.
Comment l’Ademe a-t-elle contribué à la conception du Plan hydrogène, présenté par le Ministre le 1er juin ?
Arnaud Leroy : L’Ademe s’est depuis longtemps intéressée aux perspectives offertes par l’hydrogène. Avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte et le Plan Climat, la France s’est donné des objectifs ambitieux en matière d’énergies renouvelables et de mobilité propre et nous pensons que l’hydrogène aura un rôle important à moyen et long terme pour les atteindre. Ainsi, nous sommes résolument en soutien à l’émergence et à la maturité du sujet hydrogène tant au niveau des territoires, avec l’appel à projets « territoires hydrogène » de 2016 qui a permis de labelliser 39 projets, qu’au niveau des industriels. En complément de notre soutien à des projets de R&D (22 projets depuis 6 ans) et à des démonstrateurs au travers du Programme d’Investissements d’Avenir (14 projets depuis 2010 représentant un soutien de plus de 54 M€), nous accompagnons aussi la structuration de la filière via un appui à l’Afhypac notamment. Enfin, dans le cadre de nos travaux prospectifs, nous étudions les conditions technico-économiques de déploiement des solutions hydrogène : comme par exemple sur le power to gas. Nous avons ainsi pu acquérir une bonne connaissance des enjeux associés au développement des applications hydrogène, ce qui a permis d’alimenter notre contribution à la mission de préfiguration du plan présenté par le ministre Nicolas Hulot en juin dernier. De notre point de vue, ce plan marque une nouvelle étape pour l’hydrogène. Il apporte une impulsion nécessaire pour changer de « braquet ». À la volonté politique désormais affichée, doivent maintenant répondre les engagements des industriels et territoires pour concrétiser notre ambition.
Quelle place l’Ademe va-t-elle prendre dans la mise en œuvre de ce plan ?
A. L. : L’objectif, avec la mise en place du fonds de soutien au développement de l’hydrogène, est de changer d’échelle. L’Ademe y contribue pour accompagner à la fois territoires et industriels. Ainsi, les appels à projets que nous lancerons après l’été soutiendront l’accès au marché des applications hydrogène les plus proches de la compétitivité : sur les mobilités professionnelles, dans l’industrie et pour le stockage d’électricité pour les zones non connectées au réseau électrique. L’acquisition des premières unités reste difficile compte tenu des surcoûts inhérents à toute nouvelle technologie. Le fonds permettra d’amorcer la demande et de créer les conditions d’investissements industriels à même d’engendrer la baisse des coûts. Grâce à un effet volume et une industrialisation, il permettra d’accélérer le time to market sur ces marchés, et d’atteindre une compétitivité à moyen terme (5 ans). Bref, il vient compléter les outils de politiques publiques existants sur l’offre en soutenant l’amorçage de la demande, pour un véritable effet levier. De plus en plus de territoires intègrent les solutions hydrogène dans leur stratégie de transition énergétique mais aussi de développement économique ! Le fonds hydrogène arrive donc à point nommé car les marchés visés restent larges et la France a incontestablement des atouts à faire valoir.
Selon vous, qu’est-ce que ce plan peut apporter à l’industrie française ?
A. L. : Il y a d’abord un enjeu pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie : le secteur emploie actuellement plus de 900 000 tonnes d’hydrogène par an, produit à partir de combustibles fossiles. Cela représente 7,5 % des émissions gaz à effet de serre (GES) du secteur. L’enjeu est d’améliorer les procédés et de substituer, lorsque cela est possible, ces ressources d’hydrogène fossiles pour réduire les impacts GES de l’industrie. Les consommateurs industriels diffus, éloignés des sites de production, constituent une cible prioritaire. Pour ces sites, la production locale d’hydrogène s’accompagnera de services associés permettant une optimisation économique : valorisation des flux coproduits (chaleur, oxygène), services de flexibilité au réseau électrique, etc. Il y a aussi un enjeu de développement économique. Les technologies hydrogène mobilisent des savoir-faire diversifiés, déjà présents dans le tissu industriel : métallurgie, chimie, plasturgie, électronique, électrotechnique, manufacture, etc. La fabrication des équipements de la chaîne représente donc des enjeux de diversification pour ces acteurs économiques. Par ailleurs, en aval, ces technologies peuvent irriguer de nombreux secteurs – énergie, réseaux, télécoms, bâtiments, numérique, transport, aéronautique – en créant de la valeur ajoutée pour des intégrateurs de solutions. Les enjeux en termes d’emploi concernent ainsi tout autant des PME, des ETI que des grands groupes industriels.
Ce plan met l’accent sur la production, le stockage et la mobilité, mais comment susciter l’intérêt et l’adhésion des citoyens ?
A. L. : Comme pour toute technologie émergente, il y a un besoin de pédagogie. Notre enquête sur les « Français et les nouvelles technologies de l’environnement » montre par exemple que le véhicule électrique à hydrogène est a priori assez peu connu (environ trois personnes sur dix ne connaissent pas suffisamment le sujet pour se positionner). Avec le développement des expérimentations et le déploiement ces prochaines années, l’hydrogène entrera certainement davantage dans le quotidien de nos concitoyens.