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R&D et institutions

Florence Lambert : « Nous voulons accompagner les élus locaux »

Florence Lambert, directrice du CEA-Liten, a été mandatée par le Gouvernement pour mettre en œuvre son plan Hydrogène. Cette éminente spécialiste des énergies renouvelables a confié à Hydrogenium ses prévisions et recommandations pour développer la filière hydrogène en France.

Qu’est le CEA et le CEA - Liten, dont vous êtes la directrice ?

Florence Lambert : Le CEA est le Commissariat à l’Énergie atomique et aux Énergies alternatives, un organisme de recherche français qui travaille sur l’énergie, avec un objectif de transfert vers l’industrie. Il se compose de quatre branches: le nucléaire militaire, l’énergie atomique, une direction fondamentale sur les sciences du vivant, et la direction de la recherche technologique, à laquelle le Liten fait partie. Le Liten, Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux, a pour objectif d’approfondir la recherche sur les énergies renouvelables, dans un but de développement industriel. Il s’agit du troisième institut sur les énergies renouvelables au monde, avec plus d’un millier de chercheurs. Nous travaillons sur la production des énergies renouvelables, le stockage de l’énergie et de la chaleur, ainsi que sur le numérique dans l’énergie. Nous avons le plus grand taux de brevets par chercheurs au monde, avec 240 brevets par an, et nous avons une position assez unique en termes de verticalité : pour tous les sujets, nous allons des premières recherches au démonstrateur.

Vous avez réalisé avec l’Afhypac le rapport sur l’hydrogène pour Nicolas Hulot. Quelles étaient vos priorités ? S’il y avait un domaine à approfondir lequel serait-ce ?

F. L. : L’idée était de ne pas faire un énième rapport sur l’hydrogène, mais de fonder une approche sur les interviews des nombreux acteurs qui vont faire l’hydrogène de demain. Il s’agit essentiellement des industriels, équipementiers, mais aussi de l’État, des territoires, etc. Nous voulions une vision croisée de tous les acteurs du domaine. Ce que l’on a vu assez vite, c’est qu’il n’allait pas forcément être nécessaire de faire encore beaucoup de développement : il existait déjà des marchés. On sait que l’économie de l’hydrogène va prendre du temps, mais nous voulions mettre en avant les marchés sur lesquels on allait pouvoir faire des points d’amorce. Le ministre nous a demandé d’aller très vite pour que notre démarche puisse s’intégrer dans les engagements pour la croissance verte. Ce partenariat entre l’État et les porteurs de projets privés vise à lever les freins en termes de réglementation,
et à soutenir les projets innovants.
Ce que l’on n’a peut-être pas complètement fait, faute de temps, c’est faire les liens entre les marchés, le lancement des plans d’action industrielle, les objectifs de la France dans la transition.

Quel type d’accompagnements préconisez-vous pour encourager la bonne volonté des collectivités ?

F. L. : Il va y avoir un groupe de travail spécifique dans le cadre des engagements de la croissance verte. Nous voulons accompagner les élus locaux et faciliter la diffusion de l’hydrogène dans les territoires.
Il faut donner la part belle à cette stratégie d’amorçage en subventionnant des électrolyseurs, en payant les différentiels de coût de l’hydrogène. Il faut avant tout donner l’envie aux territoires. Nous devons regarder la complémentarité énergétique des régions. Ce volet « hub » est justement la branche forte de l’hydrogène, pour mettre en place une passerelle énergétique. Nous devons accompagner quelques régions phares pour la production d’hydrogène, mais aussi pour son utilisation dans la mobilité par exemple. Il y aura des sujets importants à étudier en termes de réglementation, de business à expérimenter. En résumé, ça va être important, dans le cadre des engagements de la croissance verte d’avoir un groupe de travail dédié aux régions et à leurs rôles, et de pouvoir les accompagner.

Vous êtes vous-même dans la Recherche, et il va falloir des personnels performants pour développer l’hydrogène. Comment permettre à la future génération de chercheurs et d’ingénieurs de se saisir de ces enjeux ?
F. L. : C’est une question vraiment majeure. Il va y avoir de nombreuses initiatives qui vont être lancées, par exemple par le ministre Nicolas Hulot et Madame Parisot, qui devraient rendre un rapport sur les besoins en matière de formation à la rentrée. Moi-même, j’ai été missionnée par le syndicat des énergies renouvelables (SER) pour répondre à cette question. Ce que je pense, c’est qu’il est primordial de développer des filières d’avenir, mais aussi de proposer une formation continue pour transformer les métiers. Passer des véhicules thermiques aux véhicules électriques, c’est très bien, mais on va perdre 30 % du volume de l’emploi. L’intérêt de l’hydrogène, c’est qu’on va être dans la continuité de certaines compétences en mécanique des équipementiers automobiles. Nous devons veiller à ce qu’il y ait une continuité de l’emploi et de la formation continue, en orientant les emplois existants des filières industrielles, techniques, vers les filières hydrogènes.

La production d’hydrogène peut se faire de différentes façons, avec plusieurs tailles de stations possibles. Quelle est selon vous la solution la plus adaptée à un maillage pertinent du territoire pour la mobilité hydrogène ?

F. L. : C’est la notion de « hub énergétique » que j’évoquais tout à l’heure. Le gros avantage de l’hydrogène est justement de pouvoir être produit localement et de ne pas être dépendant des acteurs du pétrole. Pour un stockage massif sur des énergies renouvelables, je pense qu’il faut vraiment coupler les énergies renouvelables. Il ne faut pas occulter d’autres filières, telles que le nucléaire.

La France peut-elle rattraper son retard sur les leaders du secteur tels que l’Allemagne, la Chine, le Japon ? Quel serait le rôle de l’UE ?

F. L. : Concernant le rôle de l’Union européenne, il est essentiellement sur la transformation de la réglementation et des normes. On aura dans le futur quelques sujets de massification comme le solaire et le lithium. On pourra envisager d’avoir des lieux de production dans plusieurs pays. À propos des autres leaders du secteur, je ne partage pas une grande inquiétude sur notre capacité de rattrapage. La France a des technologies de niveau mondial, en termes de piles à combustible, d’électrolyseurs, rien qu’au CEA, on est deuxième détenteur au monde dans les brevets sur l’électrolyse haute température. Je pense qu’on ne part pas de très loin. Il y a eu une vraie traversée du désert en France sur l’intérêt de l’hydrogène, qui a été comblé par le rapport Hulot. Aujourd’hui les technologies sont là, les énergéticiens, Total, EDF et Engie se réveillent et cela peut aller très vite si dans l’année et demie qui vient, on prend les bonnes décisions industrielles. Mais il sera fondamental d’avoir un marché de l’hydrogène global et européen, afin de ne pas enclaver nos industriels dans un seul marché franco-français. Il faut des synergies entre les acteurs, des filières complémentaires au niveau européen. Une nation ne peut plus décider seule de ce qu’elle fera sur l’énergie, ça sera forcément dans le cadre d’une coopération à minima européenne, voire mondiale. On prépare notamment des alliances avec l’Allemagne pour la rentrée, en tant qu’acteurs de recherche.

Florence Lambert, CEA Liten, Hydrogène

Florence Lambert est la Directrice du CEA-Liten (CEA) - Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles, au sein du Commissariat à l’Énergie atomique et aux Énergies alternatives

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